Je quitte Goa pour descendre dans le Kerala quelques jours.
J’ai réservé mon billet de train. Un train de nuit pour rallier Kochi, ancienne ville portugaise, puis anglaise, puis hollandaise, finalement indienne. Ça a du être compliqué par moments dans ce coin là. Le Kerala convoité par les touristes pour ses back waters est l’état indien le plus en avance au niveau social, le taux d’alphabétisation dépasse les 90%, les villes sont de façon impressionnante très propres et il règne ici un air presque européen. Premier état au monde à avoir élu un gouvernement communiste de façon totalement libre.
Comme aujourd’hui (plus vraiment aujourd’hui, mais c’est juste pour la narration) il y a un carnaval à Panjim (capitale de Goa), on me conseille de partir très en avance pour aller à la gare - éloignée d’une heure de taxi - car le trafic va être dense.
En fait non. J’arrive à la gare à 17h et je vérifie mon billet de train, oui effectivement il part bien à 23h. Ça va être long… Les deux premières heures passent plutôt bien. Au début de la 3ème, le temps s’allonge énormément. Je passerai le temps en écoutant de la musique.
Je ne sais pas si c’est lié, mais le fait d’avoir mis mes écouteurs fait venir à moi, tour à tour, des indiens qui veulent à tout prix me parler. Je voulais être seul dans ma bulle. Mais ici, la notion de bulle n’existe pas. Discussions rigolotes et souvent répétitives :
- de quel pays ?
- ton nom ?
- ton métier ?
- depuis combien de temps en Inde ?
- tu vas où ?
- tu veux être mon ami sur Facebook ?
- etc.
Je finis par ressortir de la gare pour aller fumer clope sur clope car j’ai l’impression que c’est plus efficace que les écouteurs.
Un occidental se pointe et me demande du feu. Je lui fais remarquer qu’il voyage très léger. Ce à quoi il répond qu’il a laissé ses affaires à un couple d’indiens. Je m’empresse de lui répéter ce que tous les locaux me disent ici : “Ne faire confiance à personne !”
Il revient 5 minutes plus tard, sac sur l’épaule, guitare dans le dos et un Shy Tea dans chaque main ! Il s’appelle Domi, he’s german.
On commence à discuter, puis on s’aperçoit qu’on prend le même train, puis que nos couchettes sont très proches. Donc on voyagera ensemble. Bien entendu à un moment, on monte dans le mauvais train, mais par chance 5 secondes avant le départ, le doute est tellement grand qu’on redescend.
La sleeper classe est un lieu familiale, pas nécessairement très confortable au vu des courbatures que j’ai eues le lendemain, mais vraiment une expérience marrante. Ravitaillement à toute heure, discussion avec les indiens des couchettes voisines, fumage de cigarettes assis sur les marches des wagons au vent et à l’air frais que la vitesse permet. Le paysage défile, mais le temps avancement tranquillement. Arrivée à 14h, pile poil à l’heure (oui, ça fait bien quinze heures de train).
Nous passerons une nuit à Kochi, endroit sympa, mais qui ne nous transcendera pas.
On décide de continuer vers le sud jusqu’à Allepey pour les back waters. Aussitôt descendus du bus un mec nous accoste, nous propose sa guest house au milieu des rizières, au bord du canal, il n’y a que 3 huttes et cuisine faite sur place. Sur le papier ça a l’air bien, alors on tente.
L’endroit est charmant et paisible dans un cadre exotique (cocotiers, bananiers, hutte en bambou, poules dans le jardin, etc.). Mon nouvel ami allemand commence à se sentir en grande minorité car il y a deux français lors de notre arrivée, Cyril et Fannie. Quelques heures plus tard tous les membres de la guest house sont arrivés, nous sommes maintenant 6 français et toujours un seul allemand. Tout le monde parlera en anglais pour qu’il suive les conversations.
On va bien sûr faire un tour de barque en suivant les méandres des petits canaux qui composent les 900km des “eaux arrières”. Balade tranquille sous les cocotiers, au milieu des villages de paysans, baignade dans une eau presque aussi chaude que l’air. Après la frénésie de Kochi et de la ville qui l’englobe, le temps ralenti.
Nous décidons de rester quelques jours.
Petit à petit le troupeau français se dissout et les nationalités se mélangent à nouveau, allemands, suédois, anglais.
Les soirées sont sympathiques, composées de guitare acoustique et discussions sur l’Inde et le voyage en général. Nous partageons la même hutte avec Domi pour réduire les frais. Il n’y a qu’un seul petit lit, alors je me dévoue et dors par terre sur des matelas d’appoint, mais franchement je ne suis pas à plaindre. Même les moustiques et les blattes de 4kg qui vous grimpent dessus font partout du cadre.
Les jours s’écoulent paisiblement.
Par souci de pudeur, mais surtout de fierté masculine, je ne comptais pas écrire ce qui suit. Néanmoins cela serait contraire à l’un des objectifs de mon voyage.
Je m’étais dis avant de partir “Si je ne fais pas au moins la connaissance d’une personne avec qui le courant passe super bien, alors ce voyage sera un échec.”
Lors de notre première discussion à la gare avec Domi, il nous a fallu 10 minutes pour commencer à nous raconter nos vies, en long, en large, en travers… On ne le sait jamais à l’avance mais des fois le courant passe instantanément. Aussi bien par les échanges que par les silences. Je crois que ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps, mais je n’ai croisé Domi que 5 jours et pourtant j’ai le sentiment de le connaître depuis des années. Oui, vous allez vous foutre de ma gueule, mais mon copain Domi me manque !
Le 16 février c’est la fin, je prends dans quelques heures mes 3 avions pour aller à Katmandou, au Népal.
NB : en fait je ne suis déjà même plus au Népal, mais comme je suis fainéant et manque parfois de connexion Internet, je n’écris pas à un rythme assez régulier pour que vous lisiez ça en temps réel.