Il est 9h du matin, cela fait une heure que je suis assis dans mon 3ème vol pour rejoindre Katmandou, l’avion amorce sa descente. Le temps est clair et me permet de voir la ville très nettement. Paysage surréaliste, le relief de cette région semble avoir été construit par une pluie de météorites. Dans le quartier que nous survolons, presqu’aucune habitation n’est à la même altitude. J’ai l’impression d’être au-dessus du jeu Sim City grandeur nature.
L’aéroport lui aussi me surprend. L’intérieur est fait de briques, c’est tout petit, il n’y a que deux douaniers à cette heure-ci, un pour les népalais, un pour les étrangers. J’essaie de me rappeler que je suis dans l’aéroport international d’une capitale, mais c’est difficile à croire.
A peine arrivé à la guest house, je rencontre une bande de backpackers, dont Anne qui est hollandaise et qui elle aussi veut faire un trek le plus rapidement possible dans les Annapurna.
On cherchera ensemble une agence et nous partirons le lendemain matin pour Pokhara à 6h pour faire 8 jours de marche dans le sanctuaire des Annapurna et atteindre espérons-le, le Base camp perché à 4130m. La fin de journée se résumera à acheter le matériel nécessaire, vêtements chauds, bâtons du parfait trekkeur, gourde, lampe frontale, lingettes démaquillantes pour les jours sans douche, des bonbons pour avoir du sucre, beaucoup de Snikers et du papier toilette (rigolez pas c’est important !). On ne peut presque plus discerner que je suis français, mes vêtements Kechua se font remplacer par des contrefaçons The North Face qui ne coûtent presque rien. Thamel, le quartier routard de Katmandou ressemble plus à un Decathlon géant qu’une ville d’Asie. Mais le lieu reste agréable et bien plus reposant que certains coins de l’Inde.
Le trajet de Katmandou à Pokhara se fait en 8 heures de car pour 195km ! Les routes sont mauvaises et sinueuses à souhait. On ne fait que contourner montagne après montagne.
Départ pour le premier jour de marche à 4h du matin. Il fait froid. Nous rencontrons Yannick, un australien qui fait le même parcours que nous. On se suivra toute la semaine.
Notre guide s’appelle Tika, il a 56 ans et une bonne bouille, on décidera de l’appeler Daddy !
Notre porteur s’appelle Bim, 48 ans, timide mais capable de porter jusqu’à 35kg dans les montagnes. Au début on ne voulait pas avoir de porteur, étant certains qu’on pourrait assumer nos bagages. Mais Tika a refuser de faire le trek si on avait pas un. Il a eu raison !
L’ascension commence doucement pendant les premières heures, mais dès l’après-midi les mollets sont mis à rude épreuve, nous avons 900m de dénivelé à gravir par des escaliers à la népalaise. Je passerai la suite de la semaine à les surnommer fucking stairs, je crois que c’est là où je peine le plus.
Le ciel, bleu azure, nous permet d’avoir une visibilité parfaite sur le relief de la région. J’essaie toujours de visualiser ce qu’il y a au-delà de ce que je vois. Me rappelant ma vision que j’ai eu de l’avion, ainsi que la route effectuée la vieille dans le car, je me rends compte que je suis dans un univers de montagnes aussi hautes les unes que les autres sur des centaines de kilomètres. Léger contraste avec ma Beauce natale.
Chaque jour nous nous arrêtons dans des guest houses tenues par des montagnards. Ces hébergements sont charmants après une journée de marche, mais quand on commence à se refroidir, qu’il n’y a pas de douche ou pas d’eau chaude, pas de chauffage et que la température descend, le temps prend toute sa mesure. Parfois il y a un poêle à bois ou un heater, sorte de réchaud qui crache du feu que l’on positionne sous la table pour réchauffer les pieds et sécher la lessive du jour. Prendre garde à ne pas faire fondre ses chaussures trempées par la journée passée.
Ces maisons d’hôtes sont l’occasion de croiser les autres trekkeurs, beaucoup d’européens et d’australiens. Et surtout des groupes de coréens ! Par dizaines ! Il semblerait que ce soit la période des vacances en Corée du Sud. Nous rencontrerons un groupe de 22 personnes, venues dans le sanctuaire des Annapurna pour construire 16 écoles pour les enfants dont la vie est si haut perchée. Les coréens sont des gens positifs, avenants et très spontanés. Lorsque que nous croisons un groupe de 50 sur les sentiers, tous nous saluent à coup de Namastééééééé!!!!!. Ceci aura tendance à agacer Anne qui n’en pourra plus de les entendre nous hurler dans les oreilles cette salutation. Côté équipement, ils ne sont pas en reste, avec nos pauvres contrefaçons The North Face, on passe pour des rigolos, les coréens eux ressemblent plus à des Robocop prêts à traverser la Terre. Chapeau, combinaison en Gortex ou je sais pas quoi de la tête au pieds, un bâton dans chaque main, des genouillères, des coudières, des masques sur le visage pour empêcher les coups de soleil, mais disposant d’ouvertures pour respirer et parler, etc.
Le temps évolue au rythme du relief, tantôt soleil de plomb propice à une transpiration abondante, puis quelques mètres plus haut passage enneigé qui fait prendre conscience que la transpiration refroidit très vite, puis chaud à nouveau. Le seul moyen de ne pas tomber malade c’est de marcher, pour garder son corps à une température correcte. Et lorsqu’on arrive dans une guest house sans douche, il faut se sécher vite et changer de fringues pour être au sec.
Le matin, même si rien ne nous y oblige, à part Tika qui vient nous réveiller bien sûr, nous avons droit à un café, pancake au miel devant le levé de soleil. Pas désagréable quand on s’est habitué au froid.
Après 5 jours, nous ne sommes plus qu’à 3 heures de marche de l’ABC (Annapurna Base Camp), nous nous arrêtons comme à l’accoutumée dans une guest house. Et là, c’est le drame ! Mes intestins font des maracas ! Pas maintenant nom de Dieu ! J’avais emmené des comprimés pour ce genre de situations, seul problème, je ne suis pas certain que l’efficacité des gélules sera assez rapide pour atteindre le base camp le lendemain sereinement. Pas de problème, Daddy a ses propres pilules qu’il va cherché directement à l’hôpital de Katmandou et comme il dit “1 pill after shit like stone!”. Je fais plus confiance en Tika qui emmène des centaines de touristes chaque année que ma pharmacienne. Effet immédiat, mes intestins se calment au bout de 10 minutes. Moralité quand tu crois que ton système digestif est en béton, ne mange pas tous les midis et tous les soirs de la purée de pomme de terre au fromage. Il faut varier très cher !
Il a neigé toute la nuit, Daddy repousse notre départ pour le camp de base car les chemins sont recouverts par la neige. Puis après un café, il se reprend et nous dit qu’on peut y aller.
Il connait le chemin, ça se voit parce que moi je ne voyais vraiment pas où mettre les pieds pour ne pas tomber dans un ravin ou dans la rivière. De temps en temps, il s’arrête, regarde droit devant, comme s’il demandait à la montagne l’autorisation de passer. On approche des 4000m et l’air devient très sec, je commence à saigner du nez. J’en profite pour repeindre mon appareil photo, mes gants et la neige. Ce n’est pas grave, mais t’as juste l’air d’un con à renifler toutes les 5 secondes et avoir du sang tout autour de la bouche qui commence à sécher. On fini par arriver sur la dernière plaine qui mène au Base camp, le temps est très couvert, on ne distingue pas le ciel de la neige. L’impression d’avancer dans un nuage, sans voir l’objectif. Puis finalement on aperçoit le base camp, mais il y a tellement de neige que chaque pas prend du temps. On marche et pourtant on a le sentiment de faire du surplace.
Puis on atteint ce foutu panneau ! Annapurna Base Camp, 4130m ! Victoire !
Seul déception, il ne fait vraiment pas beau, donc on ne verra rien, même pas l’Annapurna. Pas grave… L’objectif était de marcher, et puis qui sait je reviendrais peut-être ! Cette fois pour faire l’Everest Base Camp, l’EBC.
Il est temps de faire demi-tour, de commencer les 3 jours de descente. La neige ayant tout recouvert, le terrain est très glissant. J’en profite pour faire du feet surf (je sais pas si ça existe, mais je m’éclate comme un fou). Puis arrive une zone de rochers et là c’est la patinoire. Ça glisse un max, tellement que Tika va chuter de façon impressionnante, genre soleil et glissade sur 3 mètres de dénivelée, sa tête a cognée. Il est étendu sur le dos, fait l’étoile, ne bouge plus. On se précipite autour de lui. Il fait signe d’attendre, il fait son check-up avant de se relever. Il va bien, il n’aura que quelques courbatures et une belle bosse. Selon ses dires, en 35 ans, c’était sa première chute !
On décidera de continuer la descente jusqu’à arriver à une altitude où la neige devient pluie. 9h de marche dans la journée. On est rincé, dans tous les sens du terme.
Le trek se termine tranquillement, on passera une nuit à Pokhara avant de retourner à Katmandou, toujours 8h de car.