Jean ne s’appelle pas “Jean” mais je ne veux pas citer son nom sans autorisation.

Je suis avec Jean, un suisse qui vit à Genève. Il bosse pour une organisation à but non lucratif. Il est là pour faire une action à Delhi sur les “protests” en cours. Au sujet de la fille qui s’est faite violer par 6 adolescents dans un bus, et qui en est morte par la suite. Je l’accompagne sur la place où ont lieu les manifestations.

Ambiance étrange. Slogan violents, peine de mort, castration… De ce que j’ai pu en comprendre, certains partis extrémistes étaient également présents. Un homme vient nous voir, Jean commence à tâter le terrain, pose des questions, etc. Je suis pris à part par un étudiant, il a l’air tendu. Dès qu’il parle, sa voix tremble. Son ton monte. Il dénigre le gouvernement. Il y a maintenant une dizaine de personnes autour de chacun de nous. Ils écoutent les conversations, ils tapent dans le dos de l’étudiant et lui parlent dans l’oreille. A chaque fois qu’on lui souffle quelque chose que je ne comprends pas, il hausse encore le ton, je pense qu’on lui demande de baisser le niveau car l’armée est à côté. Il déteste ce qui s’est passé, il est écœuré par tant de corruption, il est en colère. Ses yeux sont humides et sa voix est de plus en plus tremblante. Il finit par se reculer d’un pas, comme pour me préserver de son animosité. Il lève le bras, index tendu et marque son indignation avec des mouvements qui vont et viennent de haut en bas, il hurle sans interruption :

J’ai honte d’être indien ! Oui, je le dis haut et fort, j’ai honte d’être indien ! Il faut que les gens chez toi le sachent !

Je ne sais plus quoi lui dire. Ma venue sur cette place, où ont lieu les protestations, est purement hasardeuse. Je ne sais même pas quoi en penser. Si bien sûr, j’ai une opinion. Je soutien et comprends sa colère. Mais il m’est difficile de juger car je connais très peu le contexte du pays. On se plaint que rien ne change chez nous. Ici, il semblerait que l’inertie soit bien plus puissante. Malgré leur nombre, 16 millions à Delhi, il n’y a peut-être que 2000 personnes présentes (mais c’est à relativiser, il n’y avait pas de regroupement programmé ce soir là). Des partis politiques et des étudiants majoritairement. Je ne suis qu’un touriste dans tout ça. A un moment je rejoins Jean, qui semble être un poil plus à l’aise que moi. On s’éloigne petit à petit des attroupements. Après une bonne minute de silence, nous convenons qu’il est préférable de s’en aller. Nous sommes tous deux présents sur le lieu de manifestations surveillées de près par l’armée alors que nous n’avons que des VISA touristiques.

Etrange expérience… Sentiment de vulnérabilité, relatif, mais présent. Les gens sont en colère. Mais ces partis qui ont l’air tous aussi violents dans leur propositions les uns que les autres, sont-ils une solution réellement satisfaisante ?